Germinoscopies

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Il y a

Thierry Boyer, sculpteur, a édifié une cabane au cœur du sous-bois qui s‘étend autour de son atelier d’artiste. C’est une construction de dimensions modestes faite de matériaux industriels – ossature métallique, bardage d’acier, feuille de polycarbonate – couronnée d’un skydome. Extension incongrue de l’activité de l’humain au cœur de l’activité foisonnante de la nature. Espace de lumière destiné à accueillir une sculpture : une sorte de tempietto profane.

Le petit temple fut rendu à son inévitable vacuité, à la succession des jours et des nuits, moments d’éblouissantes clartés et de ténébreuses obscurités au cours desquels se débauchent l’exubérante croissance des plantes mais aussi l’envahissement des insectes jusqu’aux mollusques gastéropodes et autres habitants de la terre. La construction fut alors nommée “germinoscope“. Une aventure commence et le sculpteur devient photographe.

L’attention de l’artiste à ce qui a lieu là se porte sur ce qui se trame et se trace à l’égard des espèces contiguës à la nôtre. Elle entre en sympathie avec la vibration germinative de ce qui accompagne nos durées de vies communes et inégales : Il y a celles des hommes, Il y a celles incommensurables, tout à la fois minuscules, brèves, et grandioses des multitudes animales et végétales.

Tout se passe comme si Thierry Boyer acceptait, alors, de poser son regard à la surface des choses et y laissait glisser une curiosité ouverte à tous ces évènements infimes et ordinaires qui se présentent comme mouvements de vie, de mort et présences d’altérités radicales que, habituellement, l’on voit sans voir.

Cela impose, alors,  comme une immobilité du corps et du regard propre à une part impersonnelle de l’artiste, à une mise en silence du sujet créateur. Seulement est requise une attente, telle une position d’affût, non point pour piéger quelques gibiers mais l’imperceptible inattendu du il y a  pris dans le cadre d’une image.

L’attente ne se fait pas à l’égard d’objets ou d’événements précis dans les formes attendues de leurs apparitions que l’on sait pouvoir attendre. Il y a et se joue, là,  quelque chose d’une rencontre, d’un mouvement de sympathie à l’égard de ce qui arrive, de ce qui se passe : l’opportunité pour Thierry Boyer d’être là, témoin paradoxal de l’inattendu dans l’instant de l’avènement.

L’architecture de la cabane, dressée en plein bois, opère comme une des modalités du contact avec cet autre monde. Un espace où attendre et prendre la mesure de ce qui nous lie immanquablement à ces durées éphémères de cocons, de chrysalides… faites de croissances, et de dépérissements propres à ces nombreuses espèces : insectes, lépidoptères, gastéropodes divers, subjugués ou fascinés par la présence de la lumière artificielle qui leur confisque parfois la nuit.

Le Il y a, exposé, procède d’un envahissement glouton de gastéropodes surgis sur un territoire de lumière étranger à leur monde ; une surface bombée faite d’un matériau transparent dont les probabilités d’appartenir à la faune et à la flore de leur sous-bois  sont égales à rien. Sinon, recouverte par les apports successifs des pluies et des mousses organiques, alors, ils en font un terrain de festin. Et là, les traces de leurs ivresses gloutonnes, sont révélées par transparence dans le contre jour de la lumière du soleil dont l’image photographique nous montre l’inscription minutieuse et somptueuse. Non pas une représentation mais la présence d’un Il y a fugace, réglé et erratique, dont le corps absent de l’escargot nous est certes familier mais dont la preuve de l’existence de son passage déploie l’inscription inattendue, étrange d’un monde illimité – toujours là – à jamais indéchiffrable.

Gérard TINÉ,  février 2019.